(M) AU CHOIX

Il ne sait plus trop comment ça a commencé. Leur histoire à deux. Leur connerie monumentale. Napoléon s’ennuyait certainement. Alors c’était drôle de voir le patron se braquer et se crisper à la moindre de ses petites avances, les insinuations merdiques, les regards appuyés, les commentaires déplacés. Tout est tellement amusant, quand on sait qu’on ne sera jamais viré. Contre tout attente, les stratagèmes ont finit par faire leur effet. Le patron est devenu amant. Lui, l’homme respectable, la bague sur le doigt, la photo de famille de son fils et sa femme, fièrement posée sur le bureau. Lui, entre ses draps, à portée des doigts, le désir entre leurs reins. Mais lui, il n’aime pas les hommes. Il le dit à Napoléon, à chaque fois. Il n’aime pas les hommes, sauf quand il est dans le lit avec Napoléon, sauf quand il est tard le soir et qu’il ne reste plus que lui et Napoléon dans le bureau, sauf quand il boit un peu et qu’il frappe à la porte de Napoléon. Il n’aime pas les hommes et il n’aime pas Napoléon. Alors, la vengeance cosmique a fait en sorte que Napoléon l’aime lui. Ironie de la vie. L’arroseur arrosé. Mais Napoléon, il ne dit rien, non. Il prétend que tout va bien, même s’il a envie de sauter par la fenêtre parfois, quand il dînent ensembles, avec sa mère et Lui et sa femme. Il leur fait la conversation normalement, même s’il a envie de hurler à la mort. Et il reste avec lui, même si ça le détruit.

« Tu vas lui dire un jour ? » Une cruelle pointe d’espoir qui se faufile dans sa voix. Ses yeux qui se plonge dans les siens. Les deux hommes dévêtus sur le lit, les perles de sueur par milliers encore sur leurs corps après ce bel effort. Son sourire s’est fané, l’air grave est revenu. Napoléon vient de briser l’instant. L’amant soupire, les vêtements dont il s’enveloppe, comme une armure pour se protéger. Mais Napoléon, il a rien, plus rien que la plaie béante sur sa poitrine, sa fragilité à fleur de peau, l’impression de marché sur un fil tendu au-dessus du vide, la chute qui l’attend d’une seconde à l’autre. « Je dois y aller. » Et Napoléon hoche la tête, il lui sourit même un peu, comme s’il ne venait pas de se prendre un poignard dans le cœur. Il lui montre pas non. De toute façon, ça sert à rien. Il n’est qu’un stupide gamin bon à rien.

Les clés qui tournent dans la serrure. La porte qui s’ouvre dans un cliquetis. La lumière qu’il allume. Un sursaut. Il est là, à l’attendre dans le noir. Y’a un sourire qui nait sur les lèvres du garçon, le même putain d’espoir qui empoisonne sa vie. « Pourquoi tu ne peux pas me laisser vivre ? Pourquoi t’es venu tout foutre en l’air ? » La voix qui se brise sur le dernier mot. Il a l’aspect de l’homme au bout du rouleau. La rage dans les poings, la mâchoire serrée. « Tu veux cumuler assez de preuves pour me faire chanter, c’est ça ? » Et Napoléon il a mal putain, il a l’impression de crever un peu plus à chaque mot. Et il en a marre, Napoléon, de cacher la douleur, faire comme si de rien était, il en peut plus, il va étouffer. « T’es vraiment qu’un connard putain. » Il s’avance, un poing qu’il écrase sur sa joue, pas très fort pourtant. « Toi. Toi. Toi. Ça t’arrive de t’arrêter une seule seconde de penser à ce que moi je peux ressentir ? » Les poings qui s’écrasent sur son torse, sans aucune conviction, sans aucune force. « Qu’est ce que tu veux à la fin ? Je suis marié, je viens d’avoir un deuxième enfant, je ne peux pas les abandonner. » Tous les deux au fond du trou, la merde jusqu’au cou. Y’en pas un pour rattraper l’autre. « Tu ne comprends toujours pas ? Je t’aime. Je t’aime, merde. » Il hurle maintenant, les larmes qui brûlent ses yeux. Et puis le silence s’abat, lourde sentence du désespoir. Il a ses bras qui viennent l’entourer, ses lèvres qui rejoignent les siennes, enfin. Sa peau contre la sienne, leurs langues qui se cherchent et ça paraît si juste. Et pourtant, le lendemain lorsqu’il se réveille, son lit est vide et il a froid. Et lorsqu’il se rend dans son bureau, on lui dit qu’il est parti en vacances, congés paternité, on lui montre une photo du nouveau-né. Et Napoléon, il sourit, comme si de rien était.